photographie © Agnès Orban
Ici, je règne, sereine.
Qu’on m’appelle l’Ancêtre, la Vénus callipyge ou… peu m’importe (j’ai aussi décidé d’ignorer les «ben, dis donc, t’as vu ses fesses ?», les «ça me rassure, j’ai encore de la marge» – et j’en passe – de quelques béotiens ou béotiennes de passage, peu nombreux à vrai dire, une chance pour moi).
Peu m’importe, donc, les noms dont on m’affuble.
Ici, je veille.
Je regarde les jours s’effeuiller. J’accueille les saisons. Recueille la mémoire.
Du passé. Au présent.
Ici, le temps pirouette. Le paradis s’est recréé. Après l’enfer.
Les wagonnets peinaient à hisser des tonnes de bois, de coke, de pierres. Les ouvriers extrayaient la chaux vive des gueules béantes des fours, se cassaient bras et dos à charger les péniches. La poussière grise embuait leurs yeux, encrissait leurs poumons.
Les feux d’enfer se sont éteints.
La colline aride édifiée par les hommes s’est muée en espace de liberté. Vent. Oiseaux. Des arbres ont choisi d’y pousser. Sans heurts, sans violence, un petit bois est né. Conquis, des hommes ont voulu y cultiver la mémoire.
Ils m’ont offert ce paradis. (je n’aurais pu l’imaginer autre. Un palais? Un club Med dix étoiles? Non !
Non, bien sûr. Le paradis est un jardin depuis l’aube humaine).
Ici, j’accueille, douce, maternelle.
Ceux qui choisissent de venir près de moi passer un bout d’éternité. Qui se lovent dans l’humus pour mieux sentir l’Eden. Chaux vive. Poussière d’hommes, de femmes. L’Escaut coule à nos pieds. La vie continue.
Ici, j’apaise et je garde mémoire.
Christiane Deviaene
Photographie © Agnès Orban